dimanche 11 décembre 2011

Grand raid des Pyrénées, 80km, 5000m D+

J’arrive pas à trop dormir mais c’est pas grave, je ne regarderai pas mon portable, je ne veux pas savoir l’heure, pas de stress, il sonnera bien assez tôt... Bonne nouvelle, on dirait bien qu’il ne pleut plus... C’est sûr, non, il ne pleut plus... Faut que je dorme encore un peu, c’est toujours ça de pris.

Ahhhh. Allez, debout. C’est l’heure. C’est dur. Debout. Vite, je prépare mes mixtures. Les avaler, me préparer. J’ai bien tout ? Oui, c’est bon, heureusement que j’ai fait le tour hier. Tiens, je vais ouvrir voir s’il fait froid. Pfff ça caille un peu quand même... Pas grave, je préfère. Par contre, j’ai oublié mes gants. C'est pas vrai...
...
En y étant sur place 30 minutes avant, ça devrait aller. Pas trop le temps de refroidir et je pourrai me placer suffisamment proche des premiers pour ne pas être gêné quand la route laissera la place aux sentiers. Ah, et ne pas oublier la poudre dans l’eau. Voilà. j’ai bien tous mes gels ? Ok, c’est bon. Allez, faut y aller.

Eh ben, c’est pas encore trop la foule ici. Tant mieux, je pourrai facilement me caler dans le premier quart. Tiens, Dawa Sherpa qui se fait prendre en photo par tout le monde. Il est sympa quand même, ça a pas l’air de trop le gêner tous ces groupies... Et qu’est-ce qu’il est affûté... Incroyable... toujours souriant. Faut que j’en profite, après je le verrai plus.
...Et on attend maintenant l’arrivée d’un instant à l’autre du vainqueur de l’ultra, Oscar Perez Lopez, faites lui une ovation, il le mérite bien...
C’est pas vrai ! il arrive déjà ? 5h40, moins de 22h, j’en reviens pas. Vraiment impressionnant... Bravo !
C’est pas le tout ça, mais je vais encore une fois vérifier que tout est en place. Le sac ? Ok... Les gels ? ok... Le dossard ? ok... C’est bon.
Par contre je ne reconnais per...
Paf !
Putain, ça part... allez, tranquille au début, mais ne pas se faire coincer. Petites foulées, voilà... bon ici c’est plat, ca va bientôt monter. Y a du monde quand même dans les villages... On ne s’excite pas, on reste calme... Ah enfin, ça grimpe. Allez, mode marche et c’est parti jusqu’à Portet.... Gaffe à la boue... Belle montée, belle enfilade de frontales...
Faut regarder le lever de soleil sur les montagnes, c’est magnifique !
Il est mignon lui, moi je vais me contenter de faire gaffe à pas tomber... Sympa ce chemin en crête quand même... je suis bien, pas de souci, pas trop vite non plus... Par contre, pas jolie cette station de ski sans neige et cette piste qui monte au col et qui défigure tout.

Je peux éteindre la frontale maintenant, il fait jour... Waouh, de plus en plus de monde, on doit se rapprocher du col... C’est ça, allez bientôt le premier ravito et je vais pouvoir courir un peu dans la descente...
Tiens des ultras...
Bravo ! Courage...
Chapeau les ultras... ils doivent être bien classés eux en plus... Bientôt Merlans... Ca y est...
Bip !
- Merci, bonjour.
- Thé, café ?
Un thé merci, avec du sucre. L’eau, c’est où ? … Ok, merci...
Et c’est reparti. Là je connais, c’est relativement plat jusqu’au lac. Quelle vue... Il est beau ce Néouvielle... Gaffe aux pierres... Ah les lacs... et le col de Bastanet... Pas oublier de resserrer les pompes là-haut. Sérieux, là, quand même je me sens bien. Et puis vraiment c’est beau, rien à dire...
Allez il faut encore monter, passer au refuge de Bastan, encore des lacs, et le dernier coup de cul jusqu’au col... Pas mal de randonneurs par ici, doivent nous prendre pour des fous... Allez, faut pousser, faut pousser...

Cette montée au col depuis le refuge, je ne me la rappelais pas si courte et peu désagréable... Pourtant je suis passé il y a deux mois... La mémoire... Ouf, ça y est, première difficulté passée... Une pause pour me réajuster et je repars... La descente va être longue et c’est pas là que je vais prendre le plus de plaisir... Les lacets... Les bâtons, les replier... Ok, allez, on repart...

Pas si technique que ça, comparé à la Restonica... Oulah, je commence à avoir bien faim moi. Allez, on se tente la barre, elle devrait passer... Rien à dire, elles sont bonnes ces Mulebar, ça cale bien...
Bon, qu’est-ce qui se passe ? Je ne me fais pas trop dépasser dans cette partie. Voilà le refuge de Campana... Superbes ces lacs rien à dire... Et il ne fait pas très beau, tiens, sur le Pic du Midi. Aïe...
Le lac de Gréziolles maitenant. Le contourner et s’engouffrer ensuite dans le vallon vers Artigues... Je me demande bien à quelle place je suis... Plus trop de caillasses par ici... Mais ça descend rude... Pouah, que j’aime pas ces pentes herbeuses, mais bon, on est en course, je vais pas ralentir...

C’est long jusqu’à ce ravito du 30ème... Et après, la montée au Pic... Prendre mon temps à Artigues, y aller cool, je suis bien, faut pas que je me grille maintenant...

Tiens, commence à y avoir un peu de monde par ici, la route là-bas, des voitures... J’arrive enfin... Allez, faut appuyer un peu...
...
Samuel !

Qui me parle ? Tiens c’est Hugues ! Super !
- Salut !
- T’es pas mal là, t’es dans les 110 !
- Ah ouais ! Oulah, c’est pas bon ça, je devrais exploser alors... Ca va ? Ca se passe bien ?
- Oui, c’est bon.
- Bon, je file au ravito, à tout’ !
- A tout’.

Sympa, cool de l’avoir croisé... Ah, c’est là, ok j’y vais, se faire pointer... Sympa la salle, les robinets sont dehors (“pour éviter la piscine dans la salle...”), remplir la poche, vider les poubelles, manger un coup...

Bon c’est pas le tout ça, mais faut grimper maintenant, 14 km, 1600m D+...

La montée vers le Pic du Midi fut d’abord une surprise. Le sentier le long de la cascade d’Arizes est très court mais extrêmement pentu. Puis ce fut un calvaire pendant près d’une heure. Pas de jambes, pas de jus, pas de force. Juste assez de mental pour essayer de ne pas me faire distancer par un groupe qui avait eu l’outrecuidance de me dépasser peu après le Pont des Vaquès. Je m’alimente et je bois correctement malgré tout. Je tiens à ne rien lâcher, surtout pas les fondamentaux. Le plafond est bas, les nuages finissent par nous cacher la vue du Pic. Un peu avant Sencours, les sensations positives reprennent le dessus. Je raccroche le groupe qui m’avait pris un peu de distance et parviens à tenir la cadence. A Sencours, je prends la décision de faire un bon arrêt. D’abord pour refaire le plein d’eau et ensuite pour parfaire ma récupération. Les bénévoles sont installés dans les ruines des premiers scientifiques et l’accueil est toujours aussi sympathique et avenant. Je lorgne sur le cake mais préfère m’en défaire. Je m’en tiens au pain d’épices et aux abricots secs, arrosés d’eau pétillante.
Je repars après plusieurs minutes pour le dernier morceau de l’ascension : 500m de D+ en 7 km, sur piste jusqu’à l’Hôtellerie des Laquets, puis sur un sentier jusqu’au sommet. Sur les premiers mètres, un regret me taraude : j’aurais dû manger de ce cake, qui me fait vraiment envie. C’est décidé, au retour, je m’empiffre.
J’ai confirmation aussi de mon meilleur état de forme. Certains coureurs ne me suivent pas, d’autres finissent par me voir le dos. Cette partie est pénible, sans autre intérêt que celui de gravir ce sommet, symbole de la Bigorre, et belvédère incomparable sur les Pyrénées centrales. Dans les derniers mètres, sur le sentier, il y a du monde. Non seulement les concurrents du grand raid, mais aussi des randonneurs ou des familles venues faire un petit tour. Le temps fraîchit avec l’altitude et sur les ultimes mètres du sommet les traces de neiges de la veille sont encore présentes. Je me fais pointer sur une des plateformes de l’observatoire. Un coup d’oeil sur l’ordinateur et je vois que je suis 127ème. J’ai bien perdu quelques places, mais j’ai limité la casse.

Q : Et là, Samuel, comment se passe cette descente vers Tournaboup ?
R : Jusqu’à Sencours, pas de souci pas majeur. Je me rends bien compte que je vais un peu plus vite que d’habitude mais mes jambes répondent et je pense que je suis grisé par la bonne fin d’ascension que je viens d’effectuer. Bref, j’arrive assez bien à Sencours.
Q : Quelle décision prends-tu à ce moment ?
R : Je m’arrête. J’avais décidé de manger du cake en quittant Sencours une heure plus tôt, j’étais résolu à m’y tenir. J’en grignote donc deux ou trois parts, avec de l’eau gazeuse et je repars.
Q : Toujours aussi frais ?
R : Au début, oui. Aucun souci. Je suis même surpris de mon bon état général. Mais à partir du col de la Bonide (alt. 2150, NDLR), ça ne va plus du tout. Les jambes durcissent, j’ai mal partout, je n’arrive plus à me tenir... Je souffre et je n’ai qu’une envie, arriver à Tournaboup pour me poser, manger et reprendre la montée. Je sais que la descente ce n’est vraiment pas ma spécialité mais là, vraiment, j’ai mal. Je me souviens encore de la piste de ski, droit dans la pente, jusqu’à Super Barèges : un calvaire...
Q : Envie d’arrêter ?
R : Non, évidemment pas. Je n’ai encore jamais abandonné dans une course. Je me raccrochais au fait que ce genre de douleur est normal au bout de 8h30 de course. Au fait aussi que j’avais passé la moitié de la course et qu’on ne s’arrête pas simplement sur des cuisses en feu !
Q : A Tournaboup, quelle décision prends-tu finalement ?
R : De prendre mon temps. Une course, ça se réussit aussi en prenant son temps. Tournaboup, c’est le gros ravitaillement, celui où on mange du salé et du chaud. Celui où le moral doit remonter. Il est 14h, il y fait beau : je prends donc une soupe, du cake (irrésistible !) et de l’eau gazeuse. Je refais mon sac, vide mes poubelles et prépare mes gels pour la prochaine montée. Je ne sais pas pourquoi mais je prends vraiment mon temps. Sans doute y suis-je bien, à Tournaboup !
Q : Et comment abordes-tu, mentalement, à ce moment de la course, les 30 kilomètres qui te séparent de l’arrivée ?
R : Plutôt bien. Je connais toute la partie jusqu’à la cabane d’Aygues-Cluses ainsi que la descente du Col de Barèges au Lac de l’Oule. J’avais reconnu ce coin en juin. Je suis donc confiant, comme on peut être confiant en abordant, quoique fatigué, un tracé que l’on connaît.

Ca y est, c’est le Col de Barèges. Elle était dure cette montée quand même... Et puis pareil que pour le Pic du Midi : un première partie à la ramasse, une seconde en bien meilleure forme... Incroyable l’ultra comme ça peut nous faire passer par toutes les émotions et les sensations en si peu de temps... Sympa aussi ce gars avec qui je suis monté. Il m’a bien aidé au début... Et à Aygues-Cluses, encore un bon accueil...
Allez, maintenant une partie magnifique mais je la redoute. Glissant, technique, piégeux. Faire gaffe... J’espère que ce ne sera pas aussi dur que la descente du Pic du Midi ! Bon ils sont devant les gars que j’ai tirés dans les derniers mètres du col... Normal, je suis une bille en descente...

Bon là, de deux choses l’une : soit ils sont plus mauvais que moi en descente (pourtant le gars m’avait dit, avant Aygues-Cluses, qu’il descendait plutôt bien), soit je ne suis pas si mal que ça... Waouh, je dépasse des types en descente...
Bon, là c’est le lac de Coste-Ouillère, vient une longue portion dans la forêt... Ne pas se déconcentrer, je ne suis pas tombé, contrairement à ma reco de juin... Et tenir le ryhtme, ne pas me faire rattraper par les gars de tout à l’heure... ce serait trop bête...
Pfou, c’est long cette arrivée au Lac de l’Oule... Mais je dois me rapprocher, vu les touristes...

Pardon !
...
Merci.

Merci.

Ca y est, le lac. Maintenant on remonte vers la gauche. Tiens un groupe. Je serais descendu si bien que ça ?... Non, c’est des concurrents de l’Ultra... Il est quelle heure ? Plus de 17h ? Ca fait douze heures que je cours, eux vingt-deux de plus. Ils vont finir en 40h. Chapeau quand même... Bon allez, pas de pitié, je les passe...
...
Bravo les gars ! courage !

Bon maintenant c’est plat jusqu’à Merlans. Mon objectif c’est quinze heures max... Et surtout, ne pas me faire reprendre par les gars de la montée d’Aygues-Cluses... Courir, courir le plus possible... Bien se gérer aussi...
Ahh Merlans... Je me refais le plein d’eau, je bois un thé et je repars. Je ne m’énerve pas mais je ne m’étends pas... Et puis il fait froid là...

Et il reprend son chemin, décidé, déterminé à terminer la course. Faire moins de 15h ? C’est possible il le sait. A condition de ne pas lambiner. Son chrono, il ne le regardera pas. Il ne veut pas réfléchir, il veut en finir. Arrivé au Col de Portet, c’est facile, il suffit de descendre. Les premières pentes, sur les pistes de la station d’Espiaube, sont violentes, assassines. Il souffre et il souffre aussi pour les coureurs de l’Ultra qui descendent dos à la vallée pour soulager leurs cuisses. Il ne réfléchit pas, il continue de courir. Beaucoup de bitume. Il ne sait pas s’il doit s’en réjouir ou s’il préfère les sentiers. Il n’a pas le temps d’y penser que des gendarmes lui font signe, non pas de s’arrêter, mais de prendre à droite un chemin qui file sous bois. Il continue de trotter. Le confort de ce passage, sa beauté et son calme le rassérènent. L’arrivée se rapproche. Il le sait.
Certes, sa foulée est lourdeur. D’autres le dépassent. Mais il n’en a cure. Il tient. Il reconnaît les sentiers empruntés le matin, dans la nuit. Dans Vignec, il décide d’accélerer. Ca doit passer. Il ne lui reste plus longtemps pour franchier la ligne. Vielle-Aure, son église, sa ruelle, les enfants et le public. L’arche, c’est la fin !
Il réussit son objectif. En 14h52, le tour est bouclé avant que la nuit ne tombe !