mercredi 11 avril 2012

Trail des Citadelles - 73 km, 3600m D+

Le trail des Citadelles... 73 km et 3600m de montées annoncés. Rien dans ces chiffres ne me fait peur. Même si je ne suis pas un spécialiste de l'ultra, j'ai déjà couru et grimpé plus. Mais mes expériences "citadelliennes" de 2009 sur le 20 km (neige, pluie, boue, températures négatives à Montségur) et de 2010 sur le 40 km (pluie, boue) conjuguées au mauvais temps qui a sévi sur la région toute la semaine précédente n'étaient pas pour me rassurer.
Cependant, rien ne pouvait me distraire de mon envie d'en découdre avec cette épreuve dont j'avais fait un objectif avec un grand "O" (pour ne pas dire "eau" !) de ce début de saison.
Dossard 152 sur le cuissard, bien couvert en prévision des mauvaises prévisions météo, je croise Magali dans la grande salle (récit ici). A peine le temps de discuter, malheureusement, que c'est déjà le départ. L'organisateur, Michel Arnaud, nous fait un briefing expéditif : les conditions sont dignes des Citadelles. Bien. Le décor est planté, on n'en attendait pas moins.

De Lavelanet (km 0) à Bélesta (km 18)
Galvanisé à la fois par mes dernières séances d'entraînement et la joie d'être au départ de cette course, je pars un peu vite. La nuit est bien noire et quelques gouttes de pluie viennent nous rafraîchir le visage. Il n'y a pas tant de boue qu'en 2009 et 2010. D'un autre côté, puis-je en être certain ? J'ai bêtement fait le choix de porter une petite frontale, me disant que pour 90 minutes de nuit contre environ 9h de jour, le jeu ne valait pas la frontale... de luxe. Et je ne vois pas grand chose. Je reste donc vigilant sur les premiers kilomètres de faux plat montant.
Dès la première difficulté, je ralentis le rythme. Toujours dans la nuit, la montée vers la crête de Madoual relève davantage d'une descente dans une grotte sombre que d'une élévation vers la lumière. N'empêche. J'attends avec impatience la bifurcation vers Bélesta qui constitue le point de départ de la partie de ce trail qui m'est inconnue. J'y suis au bout de 51 minutes. Jusqu'au col du Figuier, par la Croix de Morenci, c'est du parcours de crête, sur sentier, rarement, sur piste, souvent, sur route goudronnée, de temps en temps, et sous les arbres, toujours. Le jour se lève vraiment mais la luminosité est faible, les nuages bien épais. La descente vers Fougax s'avale rapidement avant un long faux-plat descendant de 4 km, agrémenté par moments de petites côtes brèves mais cassantes, le long de l'Hers, nous menant à Bélesta, premier point de contrôle et de ravitaillement. J'ai trouvé mon allure. Je suis bien mais pas non plus super bien. Au ravitaillement, je mets en pratique la stratégie que je m'étais fixée : arrêts brefs, uniquement pour recharger l'eau de la poche ; pas de ravitaillement solide, je suis autonome de ce côté-là.

De Bélesta (km 18) à Fougax-et-Barrineuf (km 34)
Je repars donc en trottinant dans Bélesta. Si je rattrape quelques coureurs, d'autres en font autant avec moi et le bilan me paraît sur le moment même à mon désavantage. Une sensation de moins bien m'envahit dans cette partie, sans non plus que je me sente à la ramasse. Globalement, ça va, mais ça pourrait aller mieux. Et puis malgré les chèvres dépassées sur le sentier (c'est bien la première fois que j'enfume des chèvres sur des pentes !) et quelques ruines et hameaux fort pittoresques, ces 16 kilomètres se font un peu en aveugle. Beaucoup de forêt, peu de points de vue. Il faut rester concentré sur sa foulée et ses pas, les sentiers sont parfois très boueux, parfois secs. Et parfois les racines des arbres cherchent à nous piéger. Sans oublier le vent qui, lorsque la forêt s'éclaircit, s'engouffre et s'entête à souffler contre nous...
Malgré tout, je reste sérieux dans ma course, cherchant à ne pas perdre trop de temps, à ne pas non plus accélérer inutilement et surtout à bien m'alimenter et m'hydrater. En clair, je limite la casse. Mais je reste optimiste : dans les montées, les jambes répondent ; et dans les descentes, les cuisses encaissent bien, sans trop renâcler.
Puis c'est Fougax-et-Barrineuf. Nouveau contrôle, nouveau ravitaillement. Et là encore, j'applique mon plan. Je ne m'arrête que le temps de refaire le plein et de manger deux abricots secs (enfin, humides quand même un peu). Ce qui nous attend est assez simple dans les sept prochains kilomètres : une longue montée de 700 mètres de dénivelé jusqu'à la première "citadelle", Montségur.

De Fougax-et-Barrineuf (km 34) à Montferrier (km 46)
Sur le papier, cette portion est assez franche du collier : d'abord on monte, beaucoup, ensuite on redescend, beaucoup. Sur le terrain, ce n'est pas aussi simple. La piste forestière que l'on emprunte au début a été massacrée par du débardage et par le ruissellement de l'eau de pluie. L'itinéraire de contournement judicieusement mis en place et parfaitement balisé (comme l'ensemble du parcours, soit dit en passant) se révèle être assez cassant mais heureusement bref : mono- voire micro-traces en dévers, boue, troncs d'arbres en travers. En somme, le bonheur du trailer à qui il reste près de 40 kilomètres avant d'en finir.
Heureusement, cela ne dure pas et l'itinéraire se décline dès lors en piste puis en sentier. Les positions entre les coureurs ne bougent pas énormément. Je cours depuis longtemps seul.
C'est aussi, malgré la vue très impressionnante sur Montségur perché tout là-haut (sans doute pour moi le plus joli moment de ce trail), mon passage le plus dur. Insensiblement ma vitesse a ralenti. Je relance plus difficilement sur les rares faux-plats. Mais la citadelle se rapproche et ne la voir qu'à la faveur des quelques trouées dans la forêt, par intermittence, ne fait que renforcer ma volonté de l'atteindre le plus rapidement possible, de la vaincre une troisième fois, pour basculer, psychologiquement et naturellement vers la seconde partie de la course, celle qui fait que l'on commence à penser à la ligne d'arrivée.
Néanmoins, malgré ma connaissance du parcours, je ne reconnais pas le passage où l'on se raccorde avec le 20 et le 40 km. A tel point que, surpris par la présence de spectateurs venus nous encourager, je demande à une dame si j'arrive déjà au parking du col de Montségur. La réponse est positive, je la remercie vivement de l'information, ragaillardi à l'idée d'attaquer la dernière partie de la montée !
La première impression que j'ai, c'est celle d'un contraste net entre le 73 km et ses deux petites soeurs : la montée ne s'effectue pas en file indienne, on ne croise pas toutes les deux secondes un coureur qui descend, on n'est pas poussés dans le dos par des coureurs voulant nous dépasser... Bref, ce n'est que du plaisir !
La deuxième impression, c'est que je vais également bien mieux. Les jambes répondent, le coeur assure. Je passe au milieu des ruines, les contourne et entame la redescente décontracté, le sentiment d'avoir déjà accompli une bonne partie du parcours. Je franchis les marches et les pierres prudemment mais prestement. De ceux que je croise dans la descente, je ne reconnais personne.
Le parking, de nouveau, un replat, la photographe, et on repart pour une descente en sous-bois sur des sentiers bien boueux, parfois glissants, jusqu'à Montferrier. Le temps reste gris alors que par moments le voile semblait se dégager.
Montferrier. Enfin. 46ème kilomètre, plus de 6h30 de course. Là encore, je ne traîne pas alors que la sagesse aurait pu me commander d'y rester quelques minutes de plus, afin de bien récupérer. J'avale deux abricots humides et verse deux verres d'eau dans ma poche pour tenir jusqu'à Roquefort-les-Cascades, 15 km plus loin. Et je repars.

De Montferrier (km 46) à Roquefort-les-Cascades (km 61)
D'abord seul (comme souvent sur ce trail pendant lequel je n'aurai pas beaucoup échangé), je rattrape vite un peloton composé de six coureurs. Parfois élastique, parfois compact, notre petit groupe avance de conserve, cahin-caha, jusqu'à Silence. Sur cette partie encore les sentiers sont très humides. Surtout en sous-bois, moins lorsque le terrain est dégagé.
A Silence, le groupe explose. Trois coureurs perdent du terrain, un autre prend de l'avance, les deux derniers font le yoyo. Moi, je garde mon rythme, ne me laissant que peu distancer par le premier. Et je me bénis d'avoir emporté mes bâtons, à me demander même comment avancent ceux qui n'en ont pas.
Une montée de 200m nous attend. Elle n'est pas très dure et très vite nous nous rapprochons de la seconde citadelle, Roquefixade. Mais avant d'y arriver, il faut parcourir une partie ascendante en bitume (une route, quoi !), pas longue, pas dure, pas trop pentue jusqu'à un hameau. Et là, un petit coup de mou qui m'incite à prendre un remontant. J'ai même chaud...
Mais quelques hectomètres plus loin, j'arrive de nouveau à courir et au fur et à mesure je sens que physiquement tout se remet en place. La grimpette vers Roquefixade ne dure pas. Et même, je l'apprécie. Il faut dire que l'endroit est magnifique, crête dénudée et vue sur les Pyrénées enneigées. Je reconnais même un gars qui m'avait dépassé une trentaine de kilomètres avant et qui paraît bien en peine. Il me laisse passer, je n'hésite pas. S'ensuit une longue descente vers Roquefort-les-Cascades au cours de laquelle, vraiment, j'ai l'impression de revivre. Plus aucune douleur ne vient me perturber et même j'entre dans un état d'euphorie assez excitant. Je ne m'enivre pas, je sais que le balancier peut d'un coup repartir dans l'autre sens. Mais s'il ne doit y avoir qu'une seule raison pour laquelle je cours des épreuves de ce type, c'est bien pour atteindre cet état physique assez indescriptible mêlant fatigue, bonheur, plaisir après plusieurs heures d'effort dans des lieux et à des moments improbables.
Malgré tout, je suis assez rapide dans cette partie. Et assez en forme pour me souvenir qu'au même endroit, deux ans avant, c'est Thomas Saint-Girons qui me dépassait comme une balle, lui sur le 73, moi sur le 40...
Puis je croise quelques spectateurs qui m'encouragent et me disent que le ravito, c'est très vite. Je les remercie et claque la main d'un gamin qui me la tend. Tout va bien. Tout va mieux.
Au ravito de Roquefort, toujours la même stratégie : je ne m'arrête que pour refaire mes réserves en eau. Et je repars.

De Roquefort-les-Cascades (km 61) à Lavelanet (km 71)
Cette partie, je la connais quasiment par coeur pour l'avoir souvent ressassée lors de mon 40 km. Mais elle me semble plus facile qu'il y a deux ans. Même la montée vers Péreille, qui fait suite pourtant à une longue partie sur piste, assez inintéressante et cassante. Mais pour qui court, comme moi, c'est aussi le moyen de rattraper et dépasser quelques concurrents émoussés, incapables d'allonger la foulée ou d'accélérer la cadence.
Péreille, sa courte montée vers un collet qui ressemble à une petite brèche et derrière, "Rolland", un spectateur déguisé en chevalier Cathare nous encourage en brandissant à chaque passage son épée et son bouclier. Très sympa...
Juste après vient Raissac et son fameux mur de 200 m de dénivelée suivi d'un faux-plat en descente de 3 km très inconfortable, sur des cailloux enfichés dans le sol où chaque pas doit être mesuré, placé, pensé. Quoiqu'il en soit, je suis encore en jambes. Je monte bien, à tel point que je distance cinq ou six coureurs qui m'accompagnaient au début de la grimpette et en rattrape d'autres. Ces derniers kilomètres sont longs mais Lavelanet se rapproche. La voix du speaker se fait entendre, je sais que c'est la fin.
Enfin, je franchis la ligne. Je ne connais pas mon classement mais je sens que j'ai fait une belle remontée depuis Montferrier. Rien que pour cela, ma course est réussie. Un oeil au chrono, 10h36'. Moins bien qu'espéré, bien sûr, mais les conditions climatiques ne favorisaient pas un temps canon. Pour preuve, même Iker Karrera Aranburu, vainqueur pour la seconde année consécutive, a mis 35 minutes de plus qu'en 2011.

Finalement, je finis 84ème sur 306 partants et 255 arrivants. Très encourageant. Le niveau avait l'air d'être assez élevé cette année. Un très beau trail, exigeant, usant, jamais vraiment roulant mais souvent superbe. Des bénévoles attentionnés, un balisage sans ratage et des sentiers mouillés. Le pied !

Mes temps de passage et classements :

Bélesta : 2h10, 113ème
Fougax-et-Barrineuf : 4h21, 118ème
Montferrier : 6h35, 105ème
Roquefort-les-Cascades : 8h54, 97ème
Raissac : 9h51, 89ème
Lavelanet : 10h36, 84ème